L’air, l’eau, et maintenant le sol. Après les abeilles, les oiseaux, les amphibiens, c’est au tour des organismes souterrains de venir grossir les rangs des victimes collatérales des pesticides.
C’est ce que montre une vaste méta-analyse parue dans la revue Frontiers in Environmental Science.
Vers de terre, cloportes, mille-pattes, collemboles… les invertébrés des profondeurs sont constitutifs du sol. Garants de sa bonne santé, leur rôle est gigantesque : ils assurent le cycle des nutriments, la transformation du carbone ou encore la régulation des ravageurs et des maladies. Un équilibre aujourd’hui rompu par les assauts dévastateur de l’agriculture industrielle. La monoculture, le labour profond et les produits phytosanitaires appauvrissent les terres, les vident de leurs occupants. Ceux qui restent s’en trouvent lourdement affectés.
Pour le démontrer, les scientifiques ont recensé pas moins de 400 études menées en laboratoire et sur le terrain. Elles se penchent toutes sur les effets des pesticides sur les invertébrés (non ciblées par les produits) vivant au moins partiellement dans le sol. 275 espèces ont fait l’objet de mesures d’impacts, lesquels portent aussi bien sur la mortalité que l’abondance, le comportement, les changements biochimiques, morphologiques etc.
Résultat ? Plus de deux tiers des impacts se sont avérés délétères, un tiers neutres et 1% positifs. Un exemple éloquent : les vers de terre. Les études de terrain sur les lombricidés et leurs proches cousins, les oligochètes, de minuscules vers blancs ou translucides abondants dans les sols riches, montrent que la mortalité augmente pour 14 des 18 paramètres étudiés en présence de pesticides !
Cette vaste étude apporte deux enseignements.
Un : comme on pouvait s’y attendre, les pesticides sont nocifs pour des organismes non ciblés. Tous les pesticides. Il n’est pas question d’une ou de deux molécules : les résultats de l’analyse reposent sur 284 pesticides autorisés aux Etats-Unis. Et cela ne se limite pas aux insecticides : les fongicides, notamment, se révèlent tout aussi destructeurs vis-à-vis des invertébrés. « les vers de terre, les cloportes, les mille-pattes et les collemboles se nourrissent en grande partie de champignons sur la matière végétale en décomposition » rappellent les auteurs.
Isotomurus palustris, le collembole des marais, est une espèce de collembole
Deux : Les produits phytosanitaires s’attaquent à des écosystèmes entiers. Des bactéries aux abeilles qui nichent dans le sol – également étudiées dans l’analyse -, ils affectent jusqu’à la vie microbienne, tel que rapporté dans une précédente étude [1]. C’est le cas des néonicotinoïdes, insecticides célèbres rebaptisés « tueurs d’abeilles », qui ont des impacts délétères sur la plupart des organismes, des microbes aux mammifères [2], en passant par les insectes.
Comme le déplorent les auteurs, cette faune est « rarement prise en compte lors de l’évaluation de l’impact environnemental des pesticides ». « Les États-Unis, par exemple, testent uniquement les produits chimiques sur les abeilles, qui ne peuvent jamais entrer en contact avec le sol. » En Europe la situation est plus satisfaisante, puisque l’homologation nécessite des études écotoxicologique sur une espèce de ver de terre ( Eisenia fetida ou Eisenia andrei ), de collembole ( Folsomia candida ), d’acarien ( Hypoaspis aculeifer ) et même sur l’activité microbienne. De réelles avancées, bien qu’il existe de nombreuses failles dans les processus d’évaluation comme le dénoncent certaines ONG (ex Générations futures [3]).
Le renforcement des contrôles se justifie d’autant plus que la réalité du phénomène est probablement bien plus inquiétante. « Les études évaluant les effets des pesticides utilisent souvent une gamme restreinte d’espèces faciles à élever, à identifier ou à étudier, tandis que les organismes plus petits et plus discrets sont rarement analysés […] nous avons une connaissance limitée de l’étendue des dommages causés par les pesticides » admettent les scientifiques. Sachant qu’une poignée de sol en bonne santé contient environ 10 à 100 millions d’organismes appartenant à plus de 5 000 taxons [4], dont seul un petit pourcentage a été décrit [5], le travail reste immense pour connaître et protéger cette biodiversité.
A l’heure où la PAC est en cours de renégociation dans les différents pays de l’Union Européenne, cette nouvelle charge portée à l’encontre des pesticides devrait nourrir le débat.
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[1] Puglisi 2012
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